« Lire “Les Faux-Monnayeurs” », de Pierre Masson

Justine Legrand

À l’occasion du programme de l’agrégation, auquel figure le roman Les Faux-monnayeurs d’André Gide, a paru la seconde édition de Lire Les Faux-monnayeurs, de Pierre Masson, dont la première édition remonte à 1990. Dans cet ouvrage critique, Pierre Masson offre au lecteur des pistes de lecture sans jamais tendre à contraindre ce dernier, ni à réduire sa lecture à une seule conception du livre.

Chacune des quatre parties composant ce livre tourne autour du mot « histoire », puisque, comme le précise l’auteur, le but est d’aider le lecteur à réaliser l’opération que Gide, lui, souhaitait laisser faire, comme précisé dans la quatrième de couverture : « Dans cette nouvelle édition de l’essai paru en 1990, révisée et complétée par des annexes, Pierre Masson prend en charge l’opération : il aide le lecteur à démêler les nœuds… ».

Partie I : Histoire d’un roman

L’utilisation du singulier, dans le titre de cette partie pour le mot histoire, ne doit pas laisser croire au lecteur qu’il n’existe qu’une seule histoire. Il faudrait, en effet, parler d’histoires au pluriel pour bien mettre en avant la richesse du roman. Une richesse que l’auteur va savamment développer dans le détail de cette première partie.

Après avoir expliqué l’origine du choix du genre, le roman, Pierre Masson souligne une des idées centrales du livre selon laquelle Les Faux-monnayeurs sont un « rendez-vous de problèmes », où les personnages se situent à la fois dans et en dehors de l’œuvre. Ce carrefour des êtres et des idées se trouve renforcé par le fait que des liens avec d’autres personnages gidiens apparaissent clairement. Ainsi, il y a une répétition, à certains égards, de La Porte étroite, et des proches contemporains de Gide. Pierre Masson fait alors le lien avec Marc Allégret, et l’escapade des deux hommes en 1917. Mais ce mélange des personnes et personnages engendre également une confusion des genres, où la réalité et la fiction se retrouvent liées. Les Faux-monnayeurs n’en demeurent pas moins un texte évolutif, c’est-à-dire un texte qui évolue à la mesure des événements de la vie de Gide : querelle avec Cocteau, les faits divers, sa relation avec son épouse. Cela pose alors la question du manque d’imagination qui a été, maintes fois, reproché à Gide.

Partie II : Histoires de famille

Cette fois, c’est au pluriel que Pierre Masson parle d’histoires. Et comme nous allons le voir, la famille est un sujet complexe, fait de non-dits, de mensonges et de fausses familles. Dans cette partie, l’auteur ouvre la voie familiale avec la figure des grands-pères, figure faite de fêlures et donnant lieu à des malentendus dont les répercussions peuvent être lourdes de conséquences : pensons notamment au suicide de Boris. Se pose alors la question d’une même morale animant les trois grands-pères, morale parfois mise à mal, et qui conduit à s’interroger sur une autre figure : le père. Émerge, avec lui, une nouvelle conception de la famille, dont le rôle de la mère demeure ambigu. La famille est également l’occasion de survoler d’autres figures, souvent rattachées à la notion de nucleus familial : Œdipe, Narcisse, Thésée. En guise de conclusion de cette partie, Pierre Masson revient sur des concepts souvent abordés quand il s’agit de la famille et de ses différentes ramifications, tels que la mauvaise foi, la morale et la question homosexuelle.

Partie III : L’histoire en marche

Le cas Boris, déjà abordé dans le livre, est ici plus largement développé : on y découvre les courants et affluents de ce personnage, ce qui ouvre la lecture sur d’autres personnages fictifs gidiens. Reprenant le vocabulaire de Germaine Brée, Pierre Masson parle des personnages comme d’une « boule » de billard, où les discordances se font jour. Après un résumé des trois parties qui constituent le roman de Gide, l’auteur rappelle que ce livre diffère du reste de l’œuvre gidienne, notamment parce qu’il s’agit d’un livre franco-français, où une certaine défiance par rapport à l’Angleterre apparaît en filigrane. Il y a donc une pédagogie particulière dans cet ouvrage : pédagogie de l’échec, par exemple, avec une conception particulière du temps et de l’espace, mais d’un échec utile qui vient conclure cette partie.

Partie IV : L’esprit de l’histoire

C’est en se référant directement au titre du roman, Les Faux-monnayeurs, que Pierre Masson souligne le fait que l’argent n’a pas la place à laquelle nous pourrions songer. En effet, malgré la mise en avant de cette fausse monnaie, la question du trafic apparaît comme annexe. Et lorsque le faux revient à la charge, ce n’est pas toujours sous la forme d’une condamnation. L’une des particularités est, ici, le modèle binaire, voire ternaire, où chaque être humain, chaque idée, et chaque chose ont leur double, leur répondant, comme pourrait le faire un miroir. Ce tout se jouant d’une lumière ou de l’obscurité, deux notions qui reviennent comme un leitmotiv. La conclusion de cette partie, et donc de l’ouvrage, se fait sur une note poétique où la présence de Baudelaire est clairement évoquée pour parler de celui qui « ayant dépassé l’idéalisme de sa jeunesse, désormais convaincu qu’il n’y a d’issue que dans l’acceptation de tous les éléments qui le composent, ne trouve pas seulement en Baudelaire l’illustration de sa pensée ».