André Gide et Rainer Maria Rilke : une amitié 

Charlotte Butty

Le 11 mars dernier, quelques jours avant que les mesures liées au Coronavirus ne bouleversent notre quotidien, une manifestation littéraire autour d’André Gide et de Rainer Maria Rilke a été organisée à la Médiathèque du Valais de Saint-Maurice. L’événement s’est déroulé en deux temps, un entretien dans le « Salon bleu » proposé par la Fondation Rilke, en collaboration avec la Fondation Catherine Gide, et une conférence de Paola Codazzi autour des engagements gidiens. 

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Portrait de Rilke en possession de Gide
Portrait de Rilke en possession de Gide

Dans un premier temps, Brigitte Duvillard (directrice de la Fondation Rilke) et Charlotte Butty (chargée de mission à la Fondation Catherine Gide et commissaire de l’exposition « André Gide et l’Afrique-Équatoriale française » alors présentée à la Médiathèque) — ont invité le public à les rejoindre pour un « Salon bleu ». Cette manifestation itinérante de la Fondation Rilke tient son nom d’un assortiment de meubles — actuellement en possession de l’institution — sur lesquels le grand poète praguois s’est assis lorsqu’il rendait visite à son amie valaisanne Jeanne de Sépibus.

Installées au centre de ce fameux salon, les deux intervenantes ont animé une lecture commentée visant à mettre en lumière l’amitié qui a lié André Gide et Rainer Maria Rilke. Laissant la parole à ces deux figures mythiques de la littérature du début du XXsiècle, elles ont choisi un éventail de lettres illustrant différents aspects de leur relation. 

La traduction est au cœur de la relation entre l’écrivain francophone et le poète germanophone. En 1911, un an après leur rencontre, Gide fait paraître une traduction d’un extrait des Cahiers de Malte Laurids Brigge dans La NRF (n° 11). Une présentation de Rilke, alors peu connu dans l’Hexagone, par la Luxembourgeoise Aline Mayrisch, accompagne cet extrait. De son côté, Rilke traduit Le Retour de l’enfant prodigue, œuvre de transition de Gide, publiée entre L’Immoraliste (1902) et La Porte étroite (1909). 

Le conflit qui déchire l’Europe entre 1914 et 1918 oblige Rilke à quitter la Ville lumière, où il avait élu domicile. Sa longue absence engendre la saisie de son appartement et la mise en vente de tous les biens qui s’y trouvaient. Il confie ses malheurs à Stefan Zweig, qu’il rencontre à Vienne. L’essayiste autrichien met en marche son réseau pour lui venir en aide. Il contacte Romain Rolland qui en informe ensuite André Gide, alors à Paris. Ce dernier fait tout son possible pour sauver les biens de Rilke, mais il arrive trop tard. Il parvient néanmoins à récupérer des malles contenants les papiers personnels du poète grâce à la concierge de l’immeuble. Au lendemain de la guerre, il invite Rilke à venir les chercher dans le sous-sol de la libraire Gallimard. 

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Paola Codazzi à la fondation Rilke

La thématique de la traduction reprend au début des années 1920. André Gide verrait en effet d’un bon œil la traduction de ses Nourritures terrestres par Rilke — depuis installé dans la commune valaisanne de Sierre. Ce dernier décline la proposition de Gide avec diplomatie. Retiré dans sa résidence — le Château de Muzot, offert par une famille de mécènes —, il est absorbé par l’achèvement de ce qui deviendra son chef-d’œuvre, les Élégies de Duino (1923). Il se souvient sans doute avec une once de rancœur de la proposition de traduction de La Chanson de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke que Gide lui avait fait en 1914. Une traduction que le Français n’a finalement jamais menée à terme. 

Rilke préfère traduire certaines œuvres de son ami Paul Valéry, à qui il voue une profonde admiration et dont il se sent plus proche. 

Ces projets avortés ou déclinés ne nuiront pas à l’amitié des deux hommes. En 1922, Rilke cherche un moyen d’envoyer Pierre Klossowski — fils de sa compagne Baladine Klossowska et frère aîné du futur peintre Balthus — à Paris afin de parfaire son éducation. Il n’hésite pas à s’adresser à Gide pour lui trouver une place dans un établissement scolaire ainsi qu’un logement. Le Français se démène et fini par décrocher une place à l’École du Vieux-Colombier pour le protégé de Rilke. Il prendra le jeune Polonais sous son aile dès son arrivée dans la capitale. 

À plusieurs reprises, Gide invite son ami pragois aux Décades de Pontigny, important lieu de rencontres des intellectuels européens. Mais Rilke, étranger à tout sentiment d’appartenance nationale, ne donnera jamais suite à ces multiples invitations. 

Sa mort, le 30 décembre 1926, met fin à l’amitié entre les deux hommes dont les « relations n’ont pas été uniquement littéraires, mais aussi, mais surtout, amicales[1] ».

[1] Lettre d’André Gide à Renée Lang, 03-10-1947, dans Rainer Maria Rilke et André Gide, Correspondance 1909-1926, introduite et commentée par Renée Lang, Paris, Corrêa, 1952, p. 254.