Enveloppe de Tokyo
Les carnets Gide 01/03

Japon

JAPON : un pays dans lequel André Gide ne s'est jamais rendu. Un pays avec lequel il entretient pourtant des liens forts, ou plutôt, qui entretient avec son écriture un lien inattendu. Nous allons pour ce Carnet lire la correspondance entre Gide et des japonais(es), regarder l'adaptation de La Symphonie pastorale (田園交響曲), s'intéressant à la question des échanges et des traductions.

Film. “La Symphonie pastorale” à Hokkaido

David NAEGEL, Maud CHATIN

tout le long du jour,
à travers tout,
son image me suit

André Gide, La Symphonie pastorale

On connaît le film de 1946, récompensé, à sa sortie, au premier festival de Cannes, étrillé en 1954 par François Truffaut dans les Cahiers du cinéma.On ignore généralement, cependant, que le long métrage de Jean Delannoy fut précédé, en 1938, par une adaptation cinématographique japonaise de la même œuvre. Huit ans avant Jean Delannoy, Satsuo Yamamoto tournait Den'en kōkyōgaku, dont le scénario situe l’action dans la très septentrionale Hokkaido. Den'en kōkyōgaku est une œuvre bien négligée ; elle mérite cependant le détour (on trouvera, à la suite du présent texte, des liens pour visionner ce film), au moins parce qu’elle est une des très rares réalisations cinématographiques accomplies du vivant d’André Gide.

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Publicité pour Den'en kōkyōgaku de Satsuo Yamamoto (1938)

Le Journal d’André Gide paraît presque muet à ce sujet mais Maria Van Rysselberghe témoigne que ce dernier l’emmena, le 4 mai 1939, « voir la présentation devant un tout petit comité, d’un film japonais tiré de La Symphonie pastorale »[2], au sujet duquel elle précise :

Images et acteurs sont excellents dans l'ensemble. La transposition du sujet est telle qu'on ne  reconnaît plus rien de ce qui le fit choisir par son auteur : le pasteur devient  un instituteur, son fils un frère cadet – la  préoccupation d'évangélisation y est constante, etc., etc. Mais l'intérêt se maintient tout le temps, et on comprend quel extraordinaire sujet de film cela pourrait être[3] !

Les ressources des Archives André Gide quant à Den'en kōkyōgaku sont maigres mais instructives, notamment parce qu’un document paraît confirmer les impressions de la Petite Dame. En effet, Yoshio Sano, dans une une lettre inédite du 11 juin 1938 écrite à Osaka, commente :

At first when I heard of this brave undertaking, I didn't anticipated so much, as your esprit et pense are so subtile and profound that it may be next to impossibility to screen-play them, but contrary to my anxiety, I was greatly emotioned at the prévue of the cinema last night, because this picture is not only deliberately developped along the story with accompaniment of the wonderful performance of the Joky New Symphony Orchestra, but succeeding in the expression of your ideas, in some degree, except some transcriptions towards the end.
In this picture, the affable clergyman is changed into sobre school-teacher, and Jack is to his younger brother : the teacher is also a devotee to Jes. Christ, and tragedy in your original is converted to the happy-ending, as she is married to her benefactor's brother through great harassing agony as to her loving sentiment to her benefactor, this romance is occured in Hokkaido, where is noted for the situation of the Trappist's cloister, the rôle de Gerthorude (?) is casted upon Miss Setsuko Hara in the japonese name of Yukiko.
[…]
I would show you this cinema and wish to hear your strict critic on it, if possible, as I send you some sheets of the steal, please appreciate them.

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Sano
Lettre de Sano Yoshio à André Gide, 11 juin 1938, Osaka. © Fondation Catherine Gide
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Lettre de Sang

FILM

Den'en kōkyōgaku, 1938, 1h16, version noir et blanc sous-titrée en anglais, et version colorisée non sous-titrée.

Réalisateur : Satsuo Yamamoto
Scénariste : Chikao Tanaka
Production : Tōhō
D'après La Symphonie pastorale d'André Gide

Avec :
Minoru Takada dans le rôle de Hino Tosaku
Setsuko Hara dans le rôle de la fille aveugle Yukiko
Shinji Sayama dans le rôle de Shinji, frère cadet de Tosaku
Tamae Kiyokawa dans le rôle de Atsuko, épouse de Tosaku
Kimiko Fujikawa dans le rôle de Michiko, fille de Tosaku
Ko Mihashi dans le rôle du docteur Taguchi

 

On trouvera un développement du présent texte (incluant des éléments sur une tentative très méconnue d’adaptation cinématographique française, par Léon Poirier, encore antérieure) dans le numéro 215/216 (automne 2022) du Bulletin des Amis d’André Gide.

[1] François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », Cahiers du cinéma, n°31, 1954, pages 15 à 29.

[2] Maria Van Rysselberghe, Les Cahiers de la Petite Dame. Notes pour l'histoire authentique d'André Gide, tome III : 1937-1945, Paris, Gallimard, 1975, 408 pages.

[3] Cameron D. E. Tolton, « Gide au cinéma », Bulletin des Amis d’André Gide, no 107, 1995, pages 377 à 409.

[4] Claude Martin, André Gide par lui-même, Paris Le Seuil, "Écrivains de toujours", 1963, 192 pages.