Lettre d’André Gide à Jacques Copeau, du 9 [ou du 2 ? novembre [19]16, 4 feuillets dactylographiés en double exemplaire.
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Cette lettre-fleuve d’André Gide reprend l’historique d’une situation que l’on peut voir s’articuler dans les missives échangées entre l’écrivain et Gallimard, d’une part, entre Gide et Jacques-Émile Blanche d’autre part, entre Gide et le critique Paul Souday surtout. Pour sa meilleure compréhension, il serait judicieux de se reporter aux rubriques ouvertes à ces correspondances. Gide, dans la lettre présente, fait le point devant Jacques Copeau, d’une situation qui l’exaspère et dont le retentissement se fera sentir jusqu’en 1918, date d’une première « rénovation » de la NRF, notamment dans l’échange épistolaire avec Jean Schlumberger. Gide ouvre un catalogue de déceptions et de mises en garde relatives au rôle d’administrateur joué par Gaston Gallimard. Il lui reproche d’« agir par impulsions sentimentales ». Il lui conteste le droit de « manifester des sentiments personnels sur les individus », attitude qui, à la limite, n’est justifiable qu’à titre collectif ; autrement « tout se détraque ». Il cite, en exemple, les cas de Jacques-Émile Blanche et de Paul Souday que Gallimard « ne peut souffrir ». Une page entière de cette lettre, dont les caractères et l’interlignage serrés révèlent l’intention d’aller jusqu’au bout des choses sur un espace rédactionnel raisonnable, est consacrée au différend avec Paul Souday. Il dit, le concernant, vouloir « plonger jusqu’au fond ». Il met en exergue l’importance du critique qu’il tient pour le « seul critique intelligent de la "presse" contemporaine ». Si Copeau et Gallimard le prennent pour un « paltoquet », lui, Gide, rappelle combien celui-ci s’est « montré particulièrement aimable [envers] la NRF ». Il résume son vieux compagnonnage du Temps où Souday commet ses articles. Après « l’épaisseur de Sarcey » et la « stupidité de Deschamps », Souday, « du jour où il a pris pied [au Temps], a présenté, au lecteur ahuri, Claudel, Suarès, Péguy, Jammes et [lui-même Gide]. Aussi les arguments de Gallimard à propos du service de presse des Œuvres complètes de Péguy lui ont-ils paru « puérils ». Certes, prévient-il, « quand Souday serait Sainte-Beuve, je n’irais pas courir après lui ; mais quand il serait un sot, je n’irais pas repousser sa sympathie ; ça n’est plus de la fierté, c’est de la goujaterie ». Il réargumente la position de Gallimard face à la stupeur de Souday en plusieurs paragraphes et, comme accablé, il demande : « Quel sera mon rôle à moi, dans tout ceci [?] ». Revenant sur la lettre de Souday qui voyait en Gide l’autorité morale et intellectuelle de la NRF — « il espère encore qu’un mot de moi pourra remettre les choses en place » —, il se dit contraint à « désavouer ici la NRF et à [se] désolidariser d’avec elle, ce qui [lui] est infiniment plus douloureux que ne peut le supposer Gallimard ». En conclusion, Gide, résumant sa position, renouvelle ses réserves les plus expresses en mettant en cause le tour et le ton de ce qu’il considère comme une dérive administrative. Soit Gallimard agit « au nom des intérêts matériels et moraux de la NRF » — auquel cas il applaudirait de tout cœur. Soit « il travaille à se faire un ennemi du critique le mieux en place, le mieux qualifié » — alors, considérant, que ces mobiles se situent hors de son champ d’attribution, il en tirerait toutes les conséquences et il déciderait de s’écarter, car on aurait plus à faire avec les « éditions de la NRF » mais avec la « maison Gallimard ». C’est pourquoi il a décidé d’écrire à Copeau « afin de prévenir les différends entre moi et lui [Gallimard] ».
Fondation Catherine Gide