Gide, André, Lettre, 1950

Type de document
Lettre
Cote
H-06-s
Description

Lettre d’André Gide à L. Gaudaire, du 1er octobre 19[50], sans précision du lieu d’envoi, 1 feuillet dactylographié en deux exemplaires, sans signature autographe.

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Détails

Auteur(s)
Expéditeur
Destinataire
Date
Type de texte
Dactylographie
Notes

Le juge Gaudaire, de Marseille, dans sa première missive, extrêmement longue, dit s’intéresser à la question homosexuelle de par ses fonctions ; il a remarqué que la police traque, avec une sévérité accrue, toute manifestation de cette tendance, il lui donne plusieurs synonymes contemporains : inversion, pédérastie, charlisme, uranisme, etc., sur la voie publique : il a voulu savoir par quel extraordinaire processus une inclination sexuelle peut conduire un homme à être jugé, à huis clos, devant un collège d’assises. Certains indices statistiques ne l’ont pas satisfait : il tentait de réfléchir, ainsi et par cette méthode, sur une phrase d’humeur de Paul Reboux ; ce dernier s’étonnait « que la pédérastie ait toujours autant d’adeptes étant donné que ceux-ci ne se reproduisent pas ». Gaudaire, méthodiquement, balaye les arguments en prévention, se réfère à Freud et à Jean Rostand. Il fait le procès de la littérature qui n’offre des homosexuels qu’une figure de déviants au sens large du mot : il a pu constater, écrit-il, la distorsion entre la réalité, il y a observé des personnes d’une très grande élévation morale et la fiction où des personnages littéraires, créés par des écrivains homosexuels, font preuve d’un comportement ridicule ou criminel qui ne reflète en aucune manière, dit-il, des situations moyennes ; d’ailleurs, il dénonce, dans le roman en général, l’image très négative de l’espèce humaine et affirme qu’un extra-terrestre s’enfermant dans une bibliothèque, pendant plusieurs années, s’épouvanterait de la nature des hommes. La Lettre du juge Gaudaire offre, du reste, l’image d’un homme de culture et de tolérance que Gide appréciera et à qui il rendra hommage dans sa réponse. En conclusion, le signataire dit que, partant de ses observations, il a écrit un roman où la question de l’homosexualité est prise à rebrousse-poil ; ce texte a été refusé par tous les éditeurs auquel il l’a présenté ; il en a conclu à une insuffisance moins de fond que de forme ; il propose que Gide en suggère le sujet à des écrivains reconnus qui pourraient le traiter de telle manière qu’elle contribuerait à faire progresser la tolérance de l’opinion plutôt que de la braquer. Nous ne disposons pas de la réponse de Gide à cet ample message, mais selon la deuxième lettre de Gaudaire, du 27 septembre, l’écrivain lui a fait parvenir une Lettre dont il se dit très honoré. C’est une seconde analyse sur le cas de l’inversion à partir de la pensée de Freud et des arguments de Jean Rostand. Il joint d’ailleurs la copie de la missive adressée au célèbre biologiste [voir Rostand, Jean]. Gide affirme avoir pris connaissance de ladite lettre « avec un intérêt très vif ». Il accorde grande importance à la phrase de Rostand selon qui, « jusqu’ici l’on n’a jamais mis en évidence, de façon nette, des différences morphologiques ou physiologiques entre un individu hétérosexuel et un homosexuel ». Après tout, suggère Gide, « c’est qu’il n’y en a pas [souligné par lui] ». Et contrairement à ce qu’explique Rostand immédiatement après, Gide ne consent pas à voir dans le comportement animal des différences biologiques qui le retrancheraient du comportement humain. « Chaque fois que l’on a pu se livrer à des observations un peu rigoureuses sur des animaux domestiques ou sauvages, et même sur des insectes, ç’a été pour constater que l’homosexualité est aussi fréquente et naturelle [ibid.] chez ceux-ci que chez celui-là ». Et il ajoute : « Mais on se heurte, dès le début, à des opinions fausses, ou faussées admises sans contrôle, comme on admettait naguère que "la Nature a horreur du vide" ; et tous les raisonnements qui s’en suivent sont faussés ». Gide se réjouit que des hommes de la qualité de Gaudaire « préfère[nt] la vérité à la prévention » ; il s’agit là d’un « équilibre d’esprit bien rare hélas ! et que l’on souhaiterait pouvoir trouver chez tous les éducateurs — et chez tous les juges ! ».

Crédits

Fondation Catherine Gide