Lettre à André Gide, du 10 juin [19]34, sur papier à en-tête de « Yomiuri », 3 feuillets ms. dont 2 R/V.
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Quelques jours après l’envoi de la précédente lettre, le signataire écrit à Gide pour signaler sa tristesse. Ce dernier a refusé de préfacer la publication de ses textes en japonais. Matsuo y voit les effets d’une propagande qui laisserait accroire que l’Empire nippon s’apprêterait à attaquer la Russie soviétique. Il parle de Malraux et l’orthographie : « Marlo ». S’il condamne, en tant que Japonais, le nationalisme aigu qui s’est emparé de ses concitoyens, il ne s’inscrit pas moins en faux contre l’idéologie colonialiste de l’Occident. Il observe que l’Asie, dans son ensemble, est en coupe réglée et que si les Japonais sont mal vus en Europe c’est que c’est la seule puissance à oser résister et à défendre farouchement son indépendance. Il prétend que seul Malraux, en France, comprend « l’âme japonaise » et ne croit pas à « la guerre russo-japonaise », guerre que les « Européens désirent [et que souhaitent] leurs marchands de canon ». Il attribue l’esprit combatif des Japonais à l’agression occidentale. Le Japon a, dit-il, depuis son ouverture aux occidentaux, perdu de sa profondeur spirituelle. S’il s’est enrichi d’arsenaux et s’il a acquis les techniques occidentales, c’est qu’il entend se protéger contre une « Europe préparée à la guerre ». Vivement, ajoute-t-il, que le Japon se ressource dans le bouddhisme, le shintoïsme... mais, pour ce faire, il conviendrait d’abord que « les conquérants européens […] abandonnent leurs colonies en Asie ». Quant à la Russie, ajoute-t-il, il y va de son intérêt égoïste de propager les rumeurs d’une guerre livrée à elle par l’Empire nippon, à la fois pour des raisons de politique intérieure et pour s’attirer les bonnes grâces de l’Europe. Matsuo comprend que Gide éprouve beaucoup de sympathie envers l’URSS, ce qui ne l’empêche pas, du reste, d’être admiré « par les intellectuels nippons ». En conclusion, Matsuo dit se méfier de l’idéal politique. « L’idéal politique est, sous n’importe quel masque, au service d’une nation ». Le Japon, assure-t-il, ne déclenchera « aucune guerre offensive [contre] l’URSS — mais si la Russie [le] menace, [il] se défendra ».
Fondation Catherine Gide