Lettre à André Gide, du 10 mai [19]39, envoyée d’Arcueil, 6 feuillets ms. En marge du dernier feuillet, Gide a noté le texte de sa réponse, quelques lignes autographes.
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Sheng Cheng-hua, dans cette lettre, exprime, sur un ton douloureux, la blessure qu’il a éprouvée en rendant visite à Gide le même jour. Ce dernier, malencontreusement, lui a demandé si son épouse était japonaise, question presque sacrilège semble-t-il, alors que le Japon a envahi son pays. La Chine, souligne-t-il, « lutte pour sa liberté et son indépendance » ; il stigmatise l’agresseur « féroce et inhumain ». Vient ensuite le reproche concernant une autre maladresse de Gide vantant ses relations avec les Japonais et notamment la production d’un film dont le scénario est tiré de sa Symphonie pastorale [voir aussi Sano, Yoshio, Lettre à Gide du 11 juin [19]38, cote K-02]. Ce qui confirme, précise le signataire, les rumeurs déjà répandues en Chine relativement à cette question. Cependant ce qui paraîtrait correct et inoffensif en d’autres temps l’est difficilement en temps de détresse, surtout, insiste-t-il, quand cela vient « d’un grand homme et d’un grand écrivain ». Pour les Chinois, poursuit-il, Gide est « symbole de justice » et chaque mot qu’il prononce produit, dans ces pays lointains, un écho formidable. À présent, alors que la Chine est sous le déluge des bombes, que l’exode des populations se compte en centaines de milliers de réfugiés, la « sympathie » de Gide pour l’agresseur conforterait ce dernier dans son « ambition insatiable » de [conquérant]. Certes l’ambassade du Japon à Paris peut déployer des trésors de politesse ; Gide n’a-t-il pas conscience qu’elle tend à le rallier à la cause nippone ? Qu’il n’oublie pas que « les moyens de propagande [de l’ennemi] sont souvent d’une subtilité admirable ». Suit un ample passage sur les véritables buts impérialistes du Japon. Sheng Cheng-hua se justifie d’avoir été long afin que Gide se rende clairement compte « de la situation » et pour mieux lui « expliquer [les] malaises éprouvés ce matin », lors de sa visite au Vaneau. Au bas du dernier feuillet, 6 lignes manuscrites. Gide souhaite que son correspondant « veuille comprendre [qu’il] lui est particulièrement douloureux d’avoir étourdiment ajouté une tristesse personnelle, et puisse [sa] lettre l’effacer à la grande tristesse générale » que Sheng Cheng-hua ressent. Il l’assure de son « affection véritable ».
Fondation Catherine Gide