Naville, Arnold, Lettre, 1933

Type de document
Lettre
Cote
H-06-ab
Description

Lettre d’Arnold Naville à L. Pierre-Quint, du 11 juin 1933, lieu d’envoi non désigné, 8 feuillets ms.

Détails

Auteur(s)
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Date
Type de texte
Manuscrit
Notes

Arnold Naville a lu avec intérêt le livre de Pierre-Quint consacré à la vie et à l’œuvre de Gide. Cependant, l’un de ses passages, relatif à l’homosexualité de l’écrivain, résumé par la question de Pierre-Quint : « Comment, à notre époque, un adolescent peut-il échapper à l’influence si puissante de l’éducation, qui, comme Gide l’explique si bien, le ramène, par tous les moyens, au culte de la femme [?] Comment est-il possible qu’il soit attiré par son propre sexe jusqu’à oser braver la réprobation de l’opinion », suscite la discussion du signataire de la lettre qui ne se laisse pas assez convaincre par les arguments freudiens que Pierre-Quint développe alors ; c’est en qualité de protestant que Pierre-Quint prend la plume et note : « Mais elle [la foi calviniste] prohibe rigoureusement la connaissance même de tout ce qui se rapporte de près ou de loin, de très loin, d’aussi loin que possible au sexe [tous les italiques sont de Naville], quel qu’il soit, mais toujours représenté par la femme ». Plus loin : « Le flair des parents dont je parle est encore plus subtil pour dépister et écarter tout ce qui pourrait laisser supposer qu’il y a des sexes ! ». Les éducateurs protestants, selon Naville, tolèrent la relation avec la femme en tant que mère, sœur, fille, cousine, amie ; ils « refusent », en revanche, « absolument le principe de la femme sexuée ». Il n’y a donc pas « d’éducation hétérosexuelle », fait-il remarquer ; si cette éducation existe, elle serait « nettement anti-hétérosexuelle ». Il y a, note-t-il, et contrairement à l’opinion de Pierre-Quint sur « le préjugé antique contre la femme et [le] préjugé chrétien contre la chair », un « préjugé calviniste contre la chair de la femme ». Cette éducation rigoriste, ce préjugé ont pour conséquence un taux de suicides très supérieur à celui qu’on observe dans les populations embrassant la foi catholique ; et si l’on connaît, indique-t-il, en citant l’auteur, le taux suisse, il souhaite qu’on fît une étude statistique du phénomène en France ; il est persuadé qu’il révélerait un très fort taux dans la communauté protestante. C’est pourquoi, ajoute-t-il, « il peut se produire un renversement étrange : tout acte sexuel avec la femme étant sévèrement proscrit, défendu, par contre aucune interdiction explicite ne porte sur l’acte sexuel avec l’homme ». Ce n’est pas que l’homosexualité ait droit de cité, loin, très loin de lui cette idée, mais il se trouve, continue Naville que c’est « la notion de l’horreur de l’acte sexuel avec la femme, [qui] porte enfin seule l’inhibition à l’égard de la chair ». Bref, un adolescent protestant, « ayant subi l’éducation [signalée] peut ne plus éprouver l’intérêt sur la chair que contre la femme — et oubliant Sodome, réaliser ce qui doit être avec son semblable, son frère, avec celui au sujet duquel ne se pose aucune question sexuelle » ; certes, poursuit-il, « certaine manière de protestantisme [ne conduit pas] nécessairement à l’inversion ». De sorte que « l’inversion gidienne, ne représente qu’une infime minorité des cas d’inversion » telle que la psychanalyse les appréhende ; « l’inversion gidienne prend la source dans "l’inhibition à l’égard de la femme", occasionnée tout particulièrement par le calvinisme ». Bref, pour lui Naville, Gide est un « hétérosexuel détourné ». En post-scriptum, il croit devoir préciser : « [qu’il n’est pas] pas homosexuel et que, si [il] avait à craindre, dans [sa] jeunesse, l’inhibition à l’égard de la femme, [il] a su, dès [sa] jeunesse, en triompher comme il convenait ».

Crédits

Fondation Catherine Gide