André Gide et Jean Malaquais

FCG

Sur la Correspondance entre André Gide et Jean Malaquais, 1935-1950, édition de Pierre Masson et Geneviève Millot-Nakach, Paris, Classiques Garnier, 2023.

La publication de la correspondance entre Gide et Malaquais éditée par Pierre Masson et Geneviève Millot-Nakach, met en lumière une amitié plus forte que la barrière dressée entre les classes sociales. Au moment de leurs premiers échanges, en 1935, Gide est un écrivain bourgeois, à la notoriété bien établie et alors fervent défenseur du communisme. Vladimir Malacki (1908-1998) – qui deviendra plus tard Jean Malaquais, sur les conseils de son éditeur –, est quant à lui un jeune prolétaire juif, né en Pologne. Après des années de vagabondage, il s’établit en France. Entre les deux hommes de gauche, les choses n’avaient pourtant pas commencé sous les meilleurs auspices. Le plus jeune passe ses après-midis à la bibliothèque, afin de pouvoir bénéficier du chauffage. Il en profite pour lire et tombe sur un article de Gide, dans lequel le célèbre écrivain admet se sentir inférieur de ne jamais avoir eu à gagner sa vie. Cette déclaration fait fulminer l’ouvrier, qui décide de faire part de son indignation à l’auteur. Après avoir tenté de lui téléphoner, il lui adresse un courrier. Gide lui répond par une lettre, à laquelle il joint un billet de cent francs. Loin d’être reconnaissant de ce geste charitable, le fier Malacki, humilié, lui retourne le billet déchiré. Suite à cet épisode, Gide lui propose une rencontre. Débute alors une sincère amitié, qui perdurera jusqu’au décès du Prix Nobel. 

Grâce au soutien, aux encouragements et aux conseils de son illustre ami, le jeune Malaquais, aspirant écrivain dont la fougue, l'orgueil et la rage encombrent les textes, va affiner son style. 

Je travaille avec acharnement à mon livre. Tous les jours sans exception, j’abats de quatre à cinq pages, de sorte que j’en suis actuellement à ma quatre-vingt-quinzième. Je pense que durant ces quelques derniers mois de réflexion et de méditation, je me suis débarrassé de quelques-uns de mes défauts les plus marquants : grandiloquence, verbalisme excessif, certaine recherche artificieuse. Je tâche d’écrire le plus simplement possible, je dépouille mon style de toute littérature, je me garde comme de la peste des panégyriques sur la pitié, la misère, la révolte, etc.
(
Lettre 24, Jean Malaquais à André Gide, 30-06-1937, p. 59.) 

L'attribution du Prix Renaudot à son roman Les Javanais en 1939 viendra consacrer ses efforts. 

Enrichie par deux textes de Malaquais revenant sur sa rencontre avec Gide ainsi que sur la personnalité de ce dernier, cette correspondance permet de découvrir, au fil des lettres, l’éclosion d’une relation « d’homme à homme, de sensibilité à sensibilité », dépassant la configuration du rapport classique de maître à élève. Les nombreuses annotations soigneusement apportées par les éditeurs permettent une contextualisation essentielle à la compréhension des enjeux politiques, littéraires et personnels qui entourent les échanges retranscrits. Après cette lecture agréable, riche en rebondissements et pleine de caractère, ne reste qu’une envie : (re)découvrir Les Javanais ou encore Planète sans visa, dont le personnage de Stephen Audry a été inspiré par André Gide.

Charlotte Butty en proposera un compte rendu plus développé dans le Bulletin des Amis d’André Gide du printemps 2024.

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lettre Malaquais
Lettre de Jean Malaquais à Catherine Gide, lettre de condoléances suite au décès de Gide,  21.02.1951. © Fondation Catherine Gide.