Cherchez la femme !

Sophie Yerly et Peter Schnyder

Sur : Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost, André Gide et les femmes, Paris, Orizons, « Rencontres », 2022, 131 p. [ill.] ISBN : 979-10-309-0339-3

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La critique littéraire est régulièrement tentée par des formes hybrides, relevant à la fois de questions thématiques se trouvant disséminées dans l’œuvre d’un auteur (ou d’un artiste) et dans sa biographie. Une telle approche concerne aujourd’hui André Gide, puisqu’il a eu droit à la fois à un colloque au Canada et à un petit livre : l’un et l’autre questionnent le rôle qu’ont pu jouer les femmes dans sa vie et, par conséquent, dans son œuvre. Retenons que les amitiés de Gide sans catégorie de genre ne figurent pas uniquement comme notes biographiques en « marge » de l’Histoire, mais prennent une place importante dans son travail d’écriture.

Voici un petit livre bienvenu, qui rappelle que la préférence sexuelle d’une personne n’implique pas l’exclusion de l’autre sexe – bien au contraire. L’essai de Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost retrace, tels des cercles concentriques, la famille et les amitiés féminines d’André Gide : « Le premier cercle », « La seconde famille », « Les adoratrices », « Relations féminines », « Les vaines tentatrices », « Le corps des femmes » (« vétu, « dévêtu »). Dans ce recueil, l’amitié féminine reste pour Gide autant une affaire personnelle qu’une affaire de contenus littéraires.

On rencontre les différents personnages féminins, tous agrémentés de leur médaillon-photo, qui ont traversés la vie de Gide par des fragments de témoignages, de correspondances, ou d’extraits de journaux intimes. À mi-chemin entre le roman-photo et le cas d’étude, Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost proposent une lecture avertie de ces relations amicales. Elles sont parfois une peu forcées – comme avec sa mère, Juliette Gide, parfois solaires – comme avec Élisabeth Van Rysselberghe, et parfois ombrageuses, comme avec Yvonne Davet (que l’on qualifierait aujourd’hui d’« harceleuse »). La place qu’occupent les femmes dans la vie et l’œuvre de Gide révèle une grande ambivalence. Ses amitiés, par une différence d’âge et d’autorité, par sa nature aussi, comportaient, de sa part, quelque chose tantôt de tutélaire, tantôt de séducteur, tantôt d’entremetteur.

L’atout principal de l’ouvrage, ce sont les nombreuses citations de ses textes : ils prouvent que le sujet est loin d’être épuisé. On est impatient de connaître les actes du colloque canadien puisqu’il proposera, à son tour, bon nombre d’explorations autour du sujet : les représentations féminines dans les œuvres de Gide, des Cahiers d’André Walter – texte amorphe –, à Et nunc manet in te – texte si épuré ; d’Isabelle et la trilogie de L’École des femmes à Geneviève, sans négliger bien entendu Les Faux-monnayeurs. On est donc curieux de connaître les résultats de cette réflexion approfondie, puisqu’elle porte sur des sujets aussi différents que les formes et les enjeux de la représentation de la femme dans l’œuvre de Gide, de son évolution dans son œuvre, de ses liens avec les écrivains antérieurs et contemporains, de son « féminisme » avant la lettre.

Qui a donc commencé : l’homme ou la femme ? L’Éternel est-il féminin ? Du ventre de quelle grande Mère êtes-vous sorties, formes multiples ? Et ventre fécondé par quel principe engendreur ? Dualité inadmissible[1].

Thématique archétypale qui, depuis Ève, a pu perturber les hommes, évoquée dans le livre de Pierre Masson et Jean-Pierre Prévost, en attendant les actes du colloque canadien.

[1] Thésée, VIII ; Romans et récits. Œuvres lyriques et dramatiques, t. II, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 1005).