Goncourt Suisse 2015

FCG

... Et une raison de plus de mettre le cap sur Boussole, le dernier livre de Mathias Enard, paru chez Actes Sud en 2015 : choisi par le Goncourt français, il est également l’élu de la liste suisse*. Bénéficiant du soutien de l’Académie Goncourt, de l’Agence universitaire de la Francophonie et de la Fondation Catherine Gide, le projet a associé, pour sa première édition, les universités de Suisse italienne, de Neuchâtel et de Fribourg et a vocation à s’étendre dans les prochaines années. Le prix a été décerné lors d’une réception à la Résidence de France en présence de M. Pierre Assouline, représentant l’Académie Goncourt.

Les étudiants suisses commentent leur choix : « Entraîné dans le songe éveillé de Frantz Ritter, jeune musicologue viennois sur le point de mourir, le lecteur sillonne les routes de Vienne à Téhéran en quête des merveilles du Moyen-Orient. À chaque détour, il y rencontre des grands noms de l’orientalisme, à l’instar de nos compatriotes Annemarie Schwarzenbach et Ella Maillart, parties rêver du désert. Boussole constitue une expérience de lecture déroutante, conduite à travers une narration qui se multiplie, qui se fragmente et passe librement de la poésie au documentaire. Si les innombrables références du roman ont d’abord pu gêner nos lecteurs qui y ont vu la présomption de l’auteur, elles ont fini par se justifier d’elles-mêmes, servant le regard d’un écrivain méticuleux, attentif, et désireux de saisir au mieux les grandeurs du Moyen-Orient et l’ampleur des échanges qui les lient à nos représentations. »

Mathias Enard décrit ainsi le cheminement de Boussole :

« Interroger la frontière. Essayer de la comprendre, dans ses flux, ses reflux, sa mobilité. La suivre du doigt. Plonger la main dans le courant de la rivière ou la saignée du détroit. La parcourir avec ceux qui l’ont explorée, voyageurs, poètes, musiciens, scientifiques. En relever les traces, les cicatrices anciennes ou les interactions nouvelles. Entrevoir tour à tour sa violence et sa beauté. Exhumer des passions oubliées et des échanges enfouis, reprendre des dialogues parfois interrompus. Tenter humblement de recenser les marques de cette passion, de ce qui se joue entre soi et l’autre, entre Les Mille et Une Nuits et À la Recherche du temps perdu, entre L’Origine du monde et un pasha ottoman, entre le chant du muezzin et des lieder de Szymanowski.
J’ai été ce qu’on appelait autrefois un orientaliste. J’ai étudié l’arabe et le persan à l’Institut des langues orientales. Comme mes personnages, j’ai parcouru l’Égypte, la Syrie ou l’Iran. J’ai essayé de reconstruire cette longue histoire, celle de l’amour de l’Orient, de la passion de l’Orient, et des couples d’amoureux qui la représentent le mieux : Majnoun et Leyla, Vis et Ramin, Tristan et Iseult. Sans oublier ce qu’il peut y avoir de violent et de tragique dans ces récits, de rapports de force, d’intrigues politiques et d’échecs désespérés.
Ce long voyage commence à Vienne et nous amène jusqu’aux rivages de la mer de Chine ; à travers les rêveries de Franz et les errances de Sarah, j’ai souhaité rendre hommage à tous ceux qui, vers le levant ou le ponant, ont été à tel point épris de la différence qu’ils se sont immergés dans les langues, les cultures ou les musiques qu’ils découvraient, parfois jusqu’à s’y perdre corps et âme. »

*La création de ce prix a pour objectif de promouvoir la littérature de langue française à travers la Suisse et de susciter le goût d’une lecture à la fois critique et désintéressée d’œuvres contemporaines.

Photo illustrant l'article : Mathias Enard au Salon du livre de Paris lors du débat : Une résidence, pour quoi faire ? © Georges Seguin