Jalons pour une critique vivante : une bibliographie des livres consacrés à André Gide
Sur : Claude Martin, Akio Yoshii, Bibliographie chronologique des livres consacrés à André Gide (1918-2020). Nouvelle édition, revue, complétée et mise à jour par Akio Yoshii, s. l., Publications de l’Association des Amis d’André Gide, 2021, 177 p.
La critique littéraire court, entre autres, le danger de perdre de vue les ouvrages antérieurs qui ont traité d’un auteur donné. Elle risque ainsi non seulement de refaire (peut-être en moins bien) ce qui a déjà été fait, mais également de ne pas entrer en discussion avec des résultats précédents. Ce défaut concerne, nous semble-t-il, particulièrement la critique récente : bien des critiques ont hâte de proposer leurs analyses de l’auteur étudié – au détriment de celles déjà publiées. Ce danger s’estompe certes avec le temps, grâce notamment aux « gardiens du temple » que sont les bibliographes. Ne sont-ce pas eux qui aident ainsi à se faire une idée de l’état de la critique de tel ou tel artiste ?
Dans le cas d’André Gide, nous avons toujours été gâtés.
À la suite de Raoul Simonson (1924) et d’Arnold Naville (1949), c’est Peter C. Hoy qui assurait, autrefois, un bulletin bibliographique très complet, et Jacques Cotnam avait listé infatigablement les écrits de Gide. Ensuite, le Bulletin des Amis d’André Gide informe — depuis sa fondation en 1968 — sur ce qui se publie autour de l’écrivain. Claude Martin nous a habitués à des registres et des répertoires dignes de ce nom pour La Nouvelle Revue française (Table et Index de La Nouvelle Revue française, de 1908 à 1943, 2009), mais également pour ce qui est de La Correspondance générale d’André Gide (2013). Et George Pistorius a fourni « André Gide et l’Allemagne. Une bibliographie internationale » (André Gide und Deutschland. Eine internationale Bibliographie, 1990), aussi complète que possible, cependant qu’Antoine Fongaro avait signé bien plus tôt une Bibliographie d’André Gide en Italie (1966).
Dès 1987, Claude Martin et Akio Yoshii ont pris sur eux de publier une Bibliographie chronologique des livres consacrés à André Gide. Elle vient justement d’être revue et augmentée par Akio Yoshii, tant et si bien qu’elle s’étend aujourd’hui de 1918 (n° 1) : Données sur André Gide et l’homme moderne, par Christian (Georges Herbiet), à 2020 (n° 1030) : Musique et désir chez André Gide, par Augustin Voegele. On ne saurait assez remercier Claude Martin d’avoir initié cette rigueur bibliographique, et Akio Yoshii de l’avoir reprise et complétée avec tant de circonspection ! Parions qu’elle a assuré et assure à la critique gidienne une circulation saine entre l’ancien et le nouveau, les Anciens et les Modernes. Souvenons-nous que les revues littéraires à l’ancienne (La NRF, Mercure de France, La Plume, La Revue blanche, etc.) sont allées jusqu’à annoncer les faits et dits de la « concurrence » – alors que malgré le pullulement des réseaux, notre époque pratique volontiers un « chacun pour soi ». Les causes seraient à étudier, à commencer par le choix de méthodologies immanentes, plus portées à se consolider en théorie qu’ouvertes sur l’historique de sa propre recherche.
Une critique littéraire digne de son nom saura se souvenir de ses précurseurs – quitte à les critiquer et, surtout, à tenter d’aller plus loin. L’anthologie de Michel Raimond, Les Critiques de notre temps et Gide, publiée en 1971, reste dans ce contexte un modèle. Gide y était bien dans ses meubles. Puisse-t-il le rester longtemps ! La bienvenue pour lors à ceux et celles qui reprennent ce flambeau-là, à commencer par Paola Fossa, qui soutiendra bientôt sa thèse sur les « Reflets gidiens dans les revues culturelles italiennes du début du XXe siècle » (sous la direction de Tania Collani, Université de Haute-Alsace, et Andrea Aveto, Università degli Studi di Genova), et Paola Codazzi qui prépare un ouvrage collectif portant sur la critique gidienne des années cinquante et soixante (André Gide et ses critiques, 1951 à 1969). L’objectif ? C’est de réexaminer, sans partis pris, la réflexion et les mouvements d’idées de cette époque. Ils méritent cet hommage car ils nous permettent de nous interroger, à la veille de l’entrée de l’œuvre de Gide dans le domaine public, sur les déplacements des frontières que cette ouverture pourra offrir à la critique gidienne.