La Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet, hier et aujourd’hui

Isabelle Diu, BLJD

La Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet doit son nom au grand couturier qui l’a créée. Elle a été léguée à l’Université de Paris par testament du 1er juin 1929. Le décret d’acceptation du legs du 19 novembre 1932 lui a conféré son statut de bibliothèque publique rattachée à l’Université de Paris. La bibliothèque est aujourd’hui administrée par la Chancellerie des Universités de Paris, placée dans l’indivision des universités de Paris I à Paris XIII.

Naissance et destinée d’une collection

Jacques Doucet, qui a fait fortune grâce à sa maison de haute couture, a voué sa vie à la création de collections d’art successives. Passionné très tôt par l’impressionnisme, il rassemble, de 1880 à 1910, une collection exceptionnelle d’œuvres du XVIIIe siècle dont il revend l’intégralité en 1912 pour se tourner résolument vers l’art de son temps. Dans le même temps, il crée une grande bibliothèque de recherche en art et archéologie qu’il ouvre aux chercheurs en 1908. Offerte en 1917 à l’Université de Paris, elle dépend désormais de l’Institut national d’Histoire de l’Art.

A partir de 1913, Jacques Doucet se consacre à un dernier grand projet : la bibliothèque littéraire qui portera son nom. L’idée d’une bibliothèque vouée à la littérature de langue française naît grâce à la rencontre de Doucet avec l’écrivain André Suarès et s’élabore à travers la correspondance qui s’instaure entre eux. De 1916 à 1929, Jacques Doucet rassemble une bibliothèque d’exception, centrée sur l’idée de modernité, avec l’objectif d’en faire un instrument indispensable à la connaissance de l’histoire littéraire de son temps et de le transmettre à la postérité. Esprit novateur, il ne la conçoit pas seulement comme une réunion de manuscrits mis au propre, témoignant de l’œuvre achevée, ou d’éditions rares, mais il veut y joindre tous les éléments qui pourront informer la genèse d’une œuvre : manuscrits de travail et épreuves corrigées, correspondance de l’auteur, papiers personnels y voisinent, constituant ainsi une véritable archive littéraire. Un réseau de conseillers et de correspondants l’informe sur la vie littéraire contemporaine et lui propose des acquisitions de manuscrits, de livres et d’œuvres d’art parmi lesquels il opère des choix toujours justes et inspirés. A côté du quatuor prôné par Suarès qui est déjà présent dans sa collection – Suarès, Claudel, Jammes et Gide, auxquels Doucet ajoute Valéry –, André Suarès l’oriente vers les précurseurs du siècle précédent et les poètes symbolistes. Le mécène s’intéresse à l’Esprit nouveau, pensionne Reverdy, Cendrars et Max Jacob contre la livraison régulière de manuscrits d’œuvres ou de textes critiques, et achète des manuscrits à Apollinaire.

Dans le même temps, pour habiller ces textes modernes de reliures qui leur correspondent, il pousse le décorateur Pierre Legrain à inventer une reliure d’esprit contemporain qui soit digne de ses livres et manuscrits les plus précieux.

En 1921, Jacques Doucet engage comme bibliothécaire et conseiller artistique André Breton, bientôt rejoint par son ami Louis Aragon. Leur rôle est crucial dans la constitution des collections et son ouverture aux mouvements d’avant-garde. Doucet soutient alors avec générosité les mouvements Dada et surréaliste : les œuvres qui en sont issues constituent un ensemble parmi les plus remarquables des collections de sa Bibliothèque littéraire. 

En 1925, Marie Dormoy succède à André Breton dans le poste de bibliothécaire. Les derniers conseillers littéraires et artistiques de Doucet sont alors Robert Desnos et Michel Leiris, Francis Picabia et Marcel Duchamp, et Rose Adler, second relieur d’élection du mécène, qui devient son amie.

Quand Jacques Doucet meurt le 29 octobre 1929, il lègue à l’Université de Paris tout cet ensemble de manuscrits, de correspondances, d’archives, de livres, de reliures, de photographies. Une salle destinée à les accueillir est aménagée en 1932, au sein de la Réserve de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, place du Panthéon. Après Marie Dormoy, François Chapon, Yves Peyré et Sabine Coron, c’est Isabelle Diu qui dirige aujourd’hui la bibliothèque devenue universitaire.

Bibliothèque d’un collectionneur, l’institution continue pourtant à s’accroître. De nombreux écrivains, sollicités ou aidés par Jacques Doucet au temps de leurs débuts, ont fait plus tard le choix de confier leur mémoire, sous la forme d’archives complètes, à la Bibliothèque littéraire qu’il a fondée. Parmi les fonds les plus importants, les noms de Suarès, Desnos, Reverdy, Leiris, Gide, Valéry, Breton, Tzara, etc. en témoignent. Aujourd’hui encore, la bibliothèque est élue par des écrivains de renom comme lieu de préservation de leur mémoire littéraire : les derniers en date sont André Du Bouchet, Francis Ponge ou Claude Simon.

A la salle « historique » aménagée en 1932 sont venus s’adjoindre des locaux situés dans l’immeuble voisin du 8 place du Panthéon, anciens appartements de fonction du personnel de la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Les accroissements des collections ont nécessité cette extension au cours des années 1960 et 1980, afin de créer une nouvelle salle de lecture, de nouveaux espaces de rangement, et aussi permettre la création de cabinets d’écrivains présentant les meubles et objets familiers qui accompagnaient les dons et legs de fonds d’archives : le bureau d’Henri Bergson et le salon d’Henri Mondor avec ses collections mallarméennes et symbolistes, puis plus tard le bureau de Michel Leiris, offrent au public, autant que le permet une reconstitution, la perception du cadre familier qui fut témoin de la création de l’œuvre des écrivains.  

Les fonds et les catalogues

Les collections de la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet s’organisent, tous supports confondus, en deux éléments bien distincts : le fonds général et les fonds particuliers. Le fonds général trouve son origine dans la collection de Jacques Doucet, qui en est le cœur. Il s’est ensuite augmenté au cours des années de pièces isolées données ou acquises pour compléter les lignes de force de l’institution. Les fonds particuliers sont nés du choix d’écrivains reconnus par Doucet dès leur jeunesse — ou de leurs héritiers — de confier partie ou totalité de leur mémoire littéraire à la bibliothèque. 

Aujourd’hui, les fonds particuliers identifiés sont environ une centaine. Le statut de fonds est attribué aux ensembles d’archives qui recensent deux catégories au moins de documents parmi les douze définies comme composantes possibles de la mémoire d’un auteur : ses propres manuscrits ; les manuscrits d’autres auteurs qu’il conservait avec ses archives ; les lettres qu’il a adressées ; les lettres reçues ; les papiers personnels et familiaux ; les archives photographiques ; les archives sonores et audiovisuelles ; les archives de presse ; ses livres et publications ; sa bibliothèque (livres dédicacés par ses amis ou corpus de travail) ; des objets familiers et des meubles ; des œuvres d’art créées ou réunies par lui. Ces catégories servent de critères pour l’organisation des fonds. 

Le signalement des collections est effectif depuis plusieurs années sur les catalogues informatisés nationaux de l’enseignement supérieur. Les fonds sont accessibles par le biais des deux grands catalogues en ligne : Calames pour les manuscrits et le SUDOC pour les imprimés. Ces catalogues sont consultables sur le site web de la bibliothèque grâce à l’interface spécifique développée pour la bibliothèque. 

Depuis mars 2010, l’intégralité des notices héritées du projet interministériel de Répertoire des manuscrits littéraires français du XXe siècle (PALME) figure en effet dans la base Calames (Catalogue des archives et manuscrits de l’Enseignement supérieur). La bibliothèque a réorganisé ces notices afin de proposer un catalogue de manuscrits par fonds, qui reflète l’histoire de la constitution de ses collections. L’encodage en EAD permet en effet de procéder à un traitement non plus pièce à pièce, mais par fonds, selon une structuration hiérarchisée plus archivistique. La partie des collections qui n’entrait pas dans le champ du projet PALME, manuscrits du XIXe siècle ou en langue étrangère, a ensuite fait l’objet d’une rétroconversion. Les fonds nouveaux qui rejoignent aujourd’hui la bibliothèque sont inventoriés, puis catalogués en ligne au fur et à mesure de leur arrivée afin de réduire autant que possible les délais de mise à disposition de ces sources pour les chercheurs. 

Valorisation et recherche

Le site web de la bibliothèque (www.bljd.sorbonne.fr), porte d’entrée virtuelle de l’établissement, présente l’institution, son histoire, ses fonds et les services qu’elle propose au public. 

La bibliothèque participe activement aux manifestations extérieures susceptibles de faire connaître ses collections. Chaque année, elle prête des œuvres dans le cadre d’une trentaine d’expositions en France et à l’étranger. En 2011, elle a été l’invité d’honneur au Salon du Livre Ancien et Moderne (SLAM) qui s’est tenu au Grand Palais et a pu y présenter quelques-unes de ses pièces les plus précieuses. Après une première grande exposition consacrée en 2013 par la BPI à Claude Simon, conçue autour du fonds d’archives de l’écrivain et prix Nobel conservé par la BLJD, la bibliothèque a été partenaire de deux expositions prestigieuses qui ont mis à l’honneur en 2015 deux auteurs parmi les plus importants de ses collections : Michel Leiris au Centre Pompidou-Metz et Tristan Tzara dans les Musées de la Ville de Strasbourg. 

La bibliothèque a collaboré par ailleurs au programme ANR Le Livre, Espace de création (XIXe-XXsiècle) en partenariat avec les universités de Paris III, Clermont-Ferrand et Cambridge. Le séminaire intitulé Livre / Poésie : une histoire en pratique(s), co-organisé avec l’université Paris III dans le cadre de ce programme, retrace les divers aspects de la création poétique et plastique de la fin du XIXsiècle à nos jours et s’articule autour de la bibliothèque numérique LivrEsC qui présente une centaine de livres d’artistes de ses collections. Une exposition intitulée Livres de création a présenté au début de l’année 2013 des livres d’artistes et de peintres issus des collections de la bibliothèque, dont le parcours reflétait les choix opérés lors des séances du séminaire, complétée, durant l’été 2014, par une nouvelle exposition sur ce thème à la Galerie 24 Beaubourg. 

En 2013 et 2014, deux projets de numérisation de ses fonds, présentés par la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet dans le cadre des appels à projets de la Bibliothèque scientifique numérique, ont été retenus par le ministère de l’Enseignement supérieur. Les fonds Verlaine, Mallarmé, Jarry, Apollinaire et Desnos ont ainsi été numérisés presque intégralement grâce aux subventions accordées. Ils ont été mis en ligne en 2015 sur le site internet de la bibliothèque, au sein de la bibliothèque numérique ALMÉ (Archives Littéraires de la ModernitÉ).