“La grande radio. André Gide 150 anni dopo”

Paola Fossa

À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance d’André Gide, Rai – Radio 3, troisième station de la radio nationale italienne, a mis l’écrivain à l’honneur dans son émission "La grande radio" du 8 décembre 2019. L'épisode a réuni des extraits d’archives, les interventions critiques alternant avec des lectures d'Oreste Rizzini et de Warner Bentivegna. 

La première partie de l’émission, consacrée aux voyages africains de Gide, s’ouvre sur une interview d’Alberto Moravia enregistrée en 1975. L’écrivain italien dit avoir accompli, au cours de l’année précédente, un voyage au Cameroun, pour retracer le trajet décrit par Gide dans son Retour du Tchad. Il ajoute qu’il s’apprête à faire un deuxième voyage sur les traces du Voyage au Congo. Il souligne les différences entre ses voyages et ceux de Gide : « Gide a parcouru l’Afrique il y a 50 ans, il y a un demi-siècle ; à l’époque voyager était beaucoup plus difficile et l’Afrique a beaucoup changé depuis l’époque de Gide. Et puis, Gide était un “voyageur officiel”, partout où il allait il était reçu par les représentants du gouvernement français, alors que je suis un modeste écrivain qui, pour ainsi dire, se déplace à titre personnel, en regardant et en recueillant des impressions. » L’interview est enrichie par quelques passages d’une lecture de Voyage au Congo faite par l’acteur Oreste Rizzini en 1997. Un commentaire du philologue critique et littéraire Massimo Raffaeli suit la lecture : « C’est comme si Gide percevait l’exigence de sortir de soi-même, de ses éternelles contradictions. Depuis la moitié des années vingt, Gide découvre l’univers du “nous” ; à partir de ce moment, il ne devient pas seulement un écrivain engagé – le mot ne lui plaisait pas – ; il devient surtout une conscience nationale itinérante. » Raffaeli rappelle la passion de Gide pour la botanique, pour la zoologie : « Il connaît l’Afrique en touriste, il l’a aimée et fréquentée à l’époque de son apprentissage littéraire et de sa première libération sexuelle. Mais maintenant, c’est un autre monde qui se présente devant lui, le monde colonial, l’exploitation illimitée des ressources et, surtout, des êtres humains. » Cette confrontation avec les formes actuelles de l’esclavage est à l’origine de Voyage au Congo et Retour du Tchad, deux ouvrages par lesquels « sans exprimer un anticolonialisme idéologique ou de principe, Gide documente, avec la force de l’évidence pure et simple, une situation indécente, insoutenable pour lui, en un mot : inhumaine ».  


L’approfondissement des écrits sur l’Afrique se poursuit avec un extrait de l’émission « Terza pagina », consacrée aux nouveautés littéraires. En 1988, le critique Giancarlo Roscioni commente la parution de la traduction italienne de Voyage au Congo et Retour du Tchad. Il loue la traduction de Franco Fortini, qu’il juge « très bonne, d’autant plus que le texte est difficile » ; la difficulté est due à la précision par laquelle Gide nomme les plantes, les oiseaux, les objets que son regard croise tout au long du voyage. Roscioni résume ensuite l’essai de Valerio Magrelli qui accompagne la traduction, un essai consacré au problème du voyage dans la littérature française et européenne : « Gide a été l’un des premiers à avoir fait cette expérience dans les pays africains. » Il affirme qu’un écrivain d’aujourd’hui démontrerait plus d’intérêt anthropologique par rapport à Gide, mais que la valeur du livre est ailleurs : « Il s’agit d’une expérience personnelle ; c’est “Gide en Afrique” et non pas “l’Afrique vue par Gide”. » Les deux ouvrages sont dédiés à Joseph Conrad ; il est donc question du lien avec Heart of Darkness. Roscioni affirme qu’il y a surement un lien entre les deux ouvrages, mais que la position de Conrad était plus simple, parce qu’il était un voyageur « professionnel ». Pour Gide, il s’agissait d’« exotisme, un exotisme dans lequel l’élément le plus intéressant est l’élément subjectif », celui de « l’écrivain qui veut mesurer ses réactions face à un environnement inhabituel. Avec le monde exotique, avec le monde autre, Conrad avait plus de familiarité, […] cependant, le livre de Gide est un livre extrêmement important, parce qu’il ouvre la période de sa vocation politique ».

La deuxième partie de l’émission s’ouvre sur une lecture de L’Immoraliste, suivie de « Wikiradio », une émission de vulgarisation littéraire. Dans cet épisode de 2017, Massimo Raffaeli revient sur le concept d’engagement, sur le rôle de « conscience nationale (mais d’importance internationale) » assumé par Gide, « écrivain polygraphe », qui concentre dans son Œuvre « les thématiques les plus âpres de l’existence, de la sexualité, de l’éthique, de la coutume, de la politique ». Raffaeli rappelle l’importance du Journal, qui « fut la psychanalyse non seulement de lui-même, mais de son pays ». Ensuite, le critique parcourt la vie et l’œuvre de l’auteur ; la narration est enrichie par quelques lectures et par des musiques de l’époque. 

Un passage des Faux-monnayeurs, lu par l’acteur Warner Bentivegna, ouvre la dernière partie. La lecture est suivie d’un épisode de 2016 de « Farenheit », célèbre émission de culture et littérature. Dans cet épisode, Tommaso Giartosio s’entretient avec Piero Gelli, éditeur historique de Gide en Italie, récemment disparu. L’entretien concerne Les Faux-monnayeurs et son influence sur la littérature européenne. Le journaliste s’interroge sur la façon avec laquelle le statut d’écrivain « classique » de Gide se conjugue avec son coté expérimental. Piero Gelli répond qu’il n’y a pas de contradictions : « Gide est le seul écrivain joyeux, heureux de vivre, un écrivain qui reconnaît, qui comprend tous les aspects de la vie » ; cette posture s’accompagne d’une « dévotion sacrale à la clarté » dans laquelle il y a « quelque chose de très français ». Gide est donc « classique du point de vue stylistique mais novateur de tous les autres points de vue. Aucun autre écrivain européen n’a eu le courage de Gide dans ses prises de position » ; un courage qu’il a payé, affirme Gelli. En rappelant les grandes cérémonies ayant eu lieu à la mort de l’écrivain, il précise que « derrière ces grands adieux, il y avait un écho retentissant de haine et de férocité ». 

L’émission s’achève par une lecture du Retour de l’URSS. Les archives de la radio nationale italienne nous donnent l’image d’un Gide engagé et politique, mais aussi d’un écrivain à la fois classique et novateur, témoin et narrateur capital de son temps.

Paola FOSSA
(bio)


> Lien vers l’émission 

> Lien vers la lecture de Viaggio al Congo par Oreste Rizzini