Une vie de femme entre féminisme, engagement social et littérature
Sur : Germaine Goetzinger, Aline Mayrisch de Saint-Hubert (1874-1947). Ein Frauenleben im Spannungsfeld von Feminismus, sozialem Engagement und Literatur, Luxembourg, Guy Binsfeld, 2022, 503 p. [ill.] ISBN : 928-99959-42-79-9
Personnalité incontournable de la vie culturelle luxembourgeoise et auteure de nombreuses études et essais sur la vie littéraire de son pays, Germaine Goetzinger propose une biographie d’Aline Mayrisch (1874-1947) qui, grâce à de très nombreux témoignages inédits puisés dans des archives publiques ou privées et sans négliger les travaux antérieurs (de Cornel Meder, Tony Bourg, Christoph Dröge), nous offre le portrait fascinant d’une personne passionnée, engagée et acquise à la cause de la femme. D’une grande générosité, ouverte aux autres, courageuse, lettrée qui maîtrise plusieurs langues, critique, traductrice et essayiste, on découvre également une femme constamment écartelée par des doutes existentiels et une soif d’absolu, éternelle insatisfaite tourmentée par des démons la plupart du temps incontrôlables.

Cette biographie dépasse les étapes « extérieures » d’une vie active à souhait, le rôle de châtelaine de Colpach qui, aux côtés de son mari, l’industriel luxembourgeois Émile Mayrisch (1862-1928), mort prématurément, travaille au rapprochement informel entre l’Allemagne et la France, par le biais d’acteurs engagés dans la vie littéraire ou culturelle. Car Aline Mayrisch a été trop longtemps réduite à ce rôle. Or, la biographie de Germaine Goetzinger nous invite à l’accompagner dans ses nombreux voyages, souvent en compagnie de sa fille Andrée ou d’amis (comme André Gide, Henri Ghéon, Hugues Le Gallais dit Hugo San, Jean de Menasce, Marie Delcourt-Curvers), en Italie, en Grèce, en Égypte, en Turquie, en URSS, en Perse, au Japon, en Indochine, aux États-Unis...
L'auteure nous met ensuite en contact avec les très nombreuses personnalités rencontrées : André Gide, Jacques Rivière, Bernard Groethuysen, Jean Schlumberger, Roger Martin du Gard, Ilse et Ernst Robert Curtius, Henri Michaux, Karl Jaspers, Annette Kolb, Maria Van Rysselberghe, Marie Delcourt-Curvers, Alix Brunnschweile, etc. Des extraits de sa correspondance très riche, de ses journaux de voyage, des « Carnets de Cabris » (pour la plupart inédits), nous informent sur ses observations souvent fines et originales, qui témoignent d’une grande sensibilité et d’un esprit vif, régulièrement désemparé :
Rien ne vous met plus loin d’un être, ne dessine davantage le gouffre qui sépare chaque individu de chaque autre que la conscience d’un violent mouvement intérieur qu’on ne partage pas, dont on ne peut même pas comprendre la cause. (« Voyage en Extrême-Orient », I, p. 3, cité p. 329.)
L’ouvrage, très soigné, présente de nombreuses photos, souvent inédites, d’Aline Mayrisch et de son entourage. Il convainc par sa force de synthèse, l’aisance avec laquelle l’auteure esquisse les sujets abordés, qu’il s'agisse de politique, de littérature ou de questions plus largement culturelles et sociales. Il serait utile qu’une traduction française de cette biographie voie le jour.
Peter Schnyder en proposera un compte rendu plus développé dans le Bulletin des Amis d’André Gide du printemps 2023.