André Gide, Richard Heyd, la correspondance du courage

FCG

A paru le 1er décembre, aux Éditions Gallimard, l’édition de la Correspondance entre André Gide et son éditeur suisse, Richard Heyd. Le même jour, François Sureau prononçait au Collège de France son « Discours sur la Vertu », s’interrogeant sur la notion de « courage » en s’appuyant sur quatre auteurs : Thomas More, Auguste Scheurer-Kestner, Jean Cavaillès et… André Gide. De ce dernier, il relevait le jugement sans concessions à son retour d’URSS, malgré l’accueil qui lui était alors réservé aux côtés de Staline, Molotov ou Mikoyan : « C’est en lui-même, dans la fidélité à soi-même, que Gide avait trouvé le courage de dire après avoir vu, donnant un exemple – c’est un euphémisme – rare non seulement à l’époque, mais dans le demi-siècle qui a suivi. » C’est de ce même courage, que Gide décrivait lui-même comme une « vertu singulière[1] », que les éditeurs de la présente Correspondance, Pierre Masson et Peter Schnyder, ont tiré l’intérêt : « courage de l’écrivain français qui, malgré les honneurs, malgré l’attribution du prix Nobel, se montre vif et entreprenant. Courage de l’éditeur suisse, qui prend sur lui de publier, à un moment particulièrement difficile (dû au contingentement des livres destinés à la France, au cours de change élevé), des textes peu connus d’André Gide et son Théâtre complet en huit volumes. Et, finalement, témoignage de courage — courage de ne pas dissimuler la vérité, ni la complexité des sentiments — pour ce qui concerne la publication posthume d’Et nunc manet in te : une confession sans fard, d’une sincérité sans réserve sur la relation entre Gide et Madeleine ».

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Couverture

Cette Correspondance permet effectivement de découvrir le dessous des cartes littéraires, de la complexité du passage d’un texte (inédit, posthume, à la fois important et discret) à sa publication, à l’importance du travail d’éditeurs « périphériques » comme Ides et Calendes, qui prennent un soin tout particulier à la composition de leurs ouvrages (dont Roger Martin du Gard reconnait alors qu'il n'existe pas d'équivalent à la NRF, tandis que Gaston Gallimard se montre profondément irrité par le fait que Gide ne lui ai pas remis Et nunc manet in te). 

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Et nunc manet in te

André Gide publie ainsi aux Ides et Calendes Jeunesse (1946), Poétique (1947), Éloges (1948), Préfaces (1948) et Rencontres (1948). Chez l'éditeur de Lausanne, les ouvrages « sont faits avec le plus grand soin, reliés, certains même illustrés : par Henri Matisse, Dunoyer de Segonzac, Christian Bérard ou Marcel North. L’enseigne garde une consonance antique, qui lui confère une dimension atemporelle [...]. De plus, la maison publie le Théâtre complet de Gide en huit volumes (1947‐1949). Sans négliger des textes de Paul Claudel, Jean Giono, Paul Éluard, Pierre Jean Jouve, Jean Giraudoux, Valery Larbaud, etc. Ou encore Noces et autres histoires d’après le texte russe de Igor Strawinsky, raconté par Charles Ferdinand Ramuz et illustré merveilleusement par Théodore Stravinski (1943). »

C’est à la fois le métier d’écrire et le métier de publier qui tiennent le fil de cette correspondance entre un auteur et un éditeur s’étalant sur vingt ans.

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Gide et Heyd

[1] Dans son allocution donnée à Pertisau en 1946, publiée dans les Parcours critiques, éd. Peter Schnyder, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque gidienne », 2022. Gide y parle des minorités : « Le représentant de la minorité, surtout s’il est seul, a déjà pour lui le courage, qui devrait nous disposer à lui accorder attention – car il faut beaucoup de courage, et de la qualité la plus rare, pour lutter contre le courant. »