Correspondance de Jean et Suzanne Schlumberger

Robert Kopp

Sur : Lucie Carlier, Étude de la Correspondance de Jean et Suzanne Schlumberger. De la lettre à la littérature, Classiques Garnier, 2021, 196 p.

La littérature française est d’une richesse inégalée et il reste toujours quantité d’auteurs à découvrir ou à redécouvrir. Infiniment plus que dans n’importe quelle autre littérature. On le sait. On le dit. On le vérifie à chaque pas. Par exemple en se tournant vers un des amis les plus proches d’André Gide, Jean Schlumberger (1877-1968), le cofondateur de La NRF, du comptoir d’édition qui deviendra la maison Gallimard, du théâtre du Vieux-Colombier de Jacques Copeau. Il était sur tous les fronts dans ce renouvellement des lettres qui caractérise le tournant du XXe siècle, au sortir du symbolisme et du naturalisme. Comme romancier, comme dramaturge, comme poète. Et aussi, et surtout, comme mécène. Rien que ce dernier rôle mériterait une étude approfondie. Avis aux historiens de la culture ! Tout comme Gide, Copeau, Martin du Gard, Ghéon, Claudel et les auteurs de cette génération, Schlumberger n’a pas seulement publié une douzaine de romans, fait jouer une dizaine de pièces, composé, à ses débuts, quelques recueils de poésies, il a également écrit des milliers de lettres, à sa femme, aux membres de sa famille, à ses amis. Elles ne nous renseignent pas seulement sur sa vie et sur son époque, elles sont le laboratoire de son œuvre et la chambre d’écho des discussions qui ont entouré la naissance des œuvres de ses amis.

Ainsi, l’idée qu’avait Lucie Carlier de présenter la Correspondance de Jean Schlumberger avec sa femme Suzanne, née Weyher, peintre de son état et élève de Théo Van Rysselberghe, le mari de la Petite Dame, comme porte d’entrée dans son œuvre, était sans doute la bonne. Encore que, devant l’abondance des documents, elle a dû se contenter, dans un premier temps, de la période allant jusqu’en 1924, qui voit naître la NRF, la future maison Gallimard, le théâtre du Vieux-Colombier, les premiers romans et les premières pièces. Un travail qui appelle une suite, car Schlumberger a joué un rôle important dans les années trente et quarante, comme observateur de la vie intellectuelle (Sur les frontières religieuses, 1934), comme essayiste (Plaisir à Corneille, 1936), comme chroniqueur politique mettant en garde contre la montée des totalitarismes (articles pour partie recueillis dans Jalons et Nouveaux Jalons, 1942-1945), comme journaliste couvrant le procès Pétain. Aussi secret et discret que son ami Gide était pressé de s’exhiber, Schlumberger a retracé son cheminement intellectuel et moral dans Éveils (1950), texte qu’il serait urgent de rééditer. En attendant, on se délectera du choix de pages que Pascal Mercier a tiré de son journal littéraire (Notes sur la vie littéraire, 1902-1968, Gallimard, « Les Cahiers de La NRF », 1999). Il restitue une époque et un milieu que l’étude de Lucie Carlier nous aide à mieux comprendre, ceux d’un groupe d’écrivains pour qui la littérature se confondait avec la vie.

 

Lucie Carlier est docteure de l’Université de Toulon. Elle a soutenu sa thèse en langue et littérature françaises du XXesiècle et publié des inédits de la Correspondance échangée entre Jean Schlumberger et sa femme Suzanne Weyher dans la revue L’Épistolaire (no 45, 2019) et dans Un monde de lettresLes Auteurs de la première NRF au miroir de leurs correspondances (Gallimard, 2021).

Les « Notes de lecture » de Robert Kopp sont également parues dans la Revue des Deux Mondes de novembre 2021 (Race, culture, histoire, diversité… L’héritage de Lévi-Strauss).