Pour l’histoire du “Thésée” d’André Gide

Justine Legrand

Il était une fois un texte dont l’auteur n’était peut-être pas celui que l’on croyait… c’est ainsi que pourrait commencer notre notice à cet opus. En effet, l’ouvrage Pour l’histoire du Thésée d’André Gide réalisé par Céline Dhérin et Claude Martin est né de l’idée qu’une « bombe » capable d’ébranler le monde littéraire se trouvait dissimulée sous les versions de cette pièce de théâtre si chère à Gide. Dès l’introduction, la question « Mais qui est donc l’auteur de Thésée ? », confronte le lecteur à une sorte d’énigme : Gide est-il ou non l’auteur de cette pièce de théâtre, œuvre ultime de toute une vie passée la plume à la main ?

Parue aux publications de l’Association des Amis d’André Gide, dans la collection « Gide/textes » (no 21) en septembre 2012, cette œuvre critique de 314 pages présente les caractéristiques essentielles de l’opus, et surtout les différents états du texte, selon une division en quatre parties.

Dans l’introduction, ce sont les « informations sur la genèse du Thésée » qui constituent le fil conducteur de cette critique. Puis, l’exposé des faits étant établi, les auteurs fournissent les notes essentielles rédigées par Gide jusqu’au jour où ce dernier écrit dans son Journal : « Aujourd’hui, 21 mai, j’ai achevé Thésée. »

À mesure que la lecture des faits datés progresse, la théorie d’une « bombe » semble s’effacer. En effet, certaines incohérences sont relevées. Ainsi, un récit d’Etiemble est jugé « invraisemblable : Etiemble ne peut “préparer depuis des semaines” un essai sur le style d’un ouvrage qui n’est pas encore paru. » (XXI)

Les auteurs en concluent alors que « les souvenirs d’Etiemble sont donc fortement inexacts, et incohérents dans leur détail. » (XXII)

En conclusion : « C’est bien à Gide qu’il faut attribuer style, morale et psychologie du Thésée qui, lentement élaboré, mûri, a fini par s’imposer à lui comme une nécessité dictée tout à la fois par des motifs politiques, des raisons personnelles et sociales, et l’achèvement d’une quête esthétique. » (XXIX)

La question de la genèse du Thésée résolue, c’est une réflexion autour du style en lui-même qui est posé :

« Classique ? Baroque ? » « Thésée, le héros libre et libérateur, est suspendu entre plusieurs mondes, plusieurs temps et plusieurs langues. » (XXXI)

Après une copie des corrections d’Etiemble, ce sont les quatre états de Thésée qui nous sont offerts :

-  Le manuscrit Doucet

-  L’édition Schiffrin

-  Le texte des Cahiers de la Pléiade

-  L’édition Gallimard

Grâce à ces états, le lecteur est témoin de l’évolution du texte, des variantes qui ont conduit Gide à présenter la version finale que nous connaissons aujourd’hui.

Ce qui ressort de ce livre demeure en premier lieu le coup de tonnerre qui sert à accrocher le lecteur totalement happé par l’illusion d’une supercherie littéraire. En ayant opté pour une lecture en parallèle des quatre états du Thésée, Céline Dhérin et Claude Martin ont fait le choix de présenter chaque version comme une version à la fois aboutie (car publiée en l’état) et non-aboutie (car suivie d’une autre version quelques années plus tard). On appréciera que le dossier de presse se veuille le plus exhaustif possible, ne se limitant pas à quelques morceaux choisis, mais offrant au lecteur la possibilité de saisir toute l’ambivalence entourant cet ultime ouvrage gidien. Loin d’opter pour une vision consensuelle de l’œuvre, la liberté de ton du dossier de presse témoigne de l’émotion suscitée par cette pièce. Car n’oublions pas que la richesse de Thésée, c’est qu’elle « nous redonne tous les problèmes gidiens » (268), problème de style, mais aussi de mœurs et de pouvoir.