Hommage à Marc Allégret

Peter Schnyder, Sophie Yerly

Autour des deux films consacrés à André Gide, remastérisés et disponibles en DVD

Il faut savoir gré à Laurence Braunberger et à Doriane Films d’avoir rendu possible la restauration et la numérisation des deux films que Marc Allégret a consacrés à André Gide. Il s’agit de Voyage au Congo (1927) et Avec André Gide (1951). Pour les amateurs de Gide, ces deux réalisations étaient longtemps restées hors de portée. Les DVD, dorénavant en vente, leur permettent de visionner à leur guise ces deux documents exceptionnels. Voyage au Congo a été restauré et numérisé par Les Films du Panthéon, en collaboration avec Les Films du Jeudi, avec le soutien du CNC et de la Cinémathèque française, ainsi qu’avec l'aide du British Film Institute. Cette version restaurée comprend également une partition instrumentale expressive composée par Mauro Coceano.

En 1925, quand Marc Allégret accompagne André Gide en AEF, il a vingt-cinq ans et est néophyte en matière de cinéma et de photographie. Pendant le voyage, il lui est pour ainsi dire impossible de voir le résultat de son travail. On peut dire que malgré les déboires de l’intéressé, qui n’a pas pu développer toutes les prises abîmées par l’humidité ou la lumière , le résultat est dans l’ensemble très positif : Voyage au Congo donne une idée complémentaire utile et bien différente de ce qu’a été ce périple entrepris avec Gide, à qui on doit en outre deux récits importants, Voyage au Congo (1927) et Retour du Tchad (1928). À ces témoignages, qui ont fini par devenir des réquisitoires contre les Compagnies concessionnaires puissantes et s’étant longtemps crues au-dessus des lois, s’ajoutent les Carnets du Congo de Marc, publié en 1987 par Daniel Durosay et Claudia Rabel-Jullien (Paris, Éditions du CNRS). Ils montrent que le jeune homme fut, lui aussi, scandalisé par la corruption et les exactions subies par les indigènes. Une lettre adressée de Carnot, le 18 novembre 1925, à Jean Schlumberger, confirme sa lucidité. Elle est reproduite dans le livret illustré qui accompagne le DVD.

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Images du film Voyage au Congo

Dans le documentaire encore rare à l’époque, Allégret capture avec précision et distance les évènements vécus ainsi que les rencontres faites dans les diverses tribus. Malgré un certain regard colonial que trahissent notamment les intertitres, le film reste dans son ensemble un témoignage qui se veut naturel, ingénu. Dans son ensemble, le film n’a pas de portée politique et il est clair que Marc a cherché à montrer avant tout les modes de vie, les rites, les us et coutumes rencontrés – tout comme la belle nature si différente de la nôtre, avec sa précarité et ses dangers. Le spectateur peut ainsi suivre plusieurs étapes du voyage et se faire une autre idée que celle donnée par les lectures des témoignages écrits. La fiction est déjà présente avec la scène idyllique d'un jeune couple qui se voit refuser, dans un premier temps, la demande en mariage mais qui connaît une issue heureuse, avec à la fin de grandes festivités. Le film reste un document ethnographique de premier ordre.

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Feu de brousses, Voyage au Congo

Avec André Gide a lui été tourné en 1950. L’ensemble a été restauré avec des images de haute qualité qui préservent l'intégration fluide des différents types de matériel visuel (photos fixes anciennes, films d'archives, images récentes). Ce sont les Films du Panthéon et Les Films du Jeudi qui ont permis cette mise au point technique, avec le soutien du CNC. Le scénario est dû à Marc Allégret et à Dominique Drouin. Le portrait est bon, car le cinéaste parvient à montrer la stature de Gide, sa solidité, sa force de conviction malgré son grand âge. On rencontre l’homme avec son parler extravagant et ses mises en scène quelque peu autoritaires (devant Jean Schlumberger ou Annick Morice, la jeune pianiste), ou encore le grand-père qui épate ses petits-enfants. L’ensemble est bien scénarisé ; plusieurs séquences plus anciennes ont été intercalées, avec des lectures de Gide qu’il est difficile d’oublier (comme le récit de la bille de verre à Uzès). Dans son documentaire, Allégret portraiture Gide selon ses propres termes. À l’aide d’images d'archives et de photographies, ainsi que d'entretiens et de conversations réalisés dans les mois précédant sa mort, il retrace chronologiquement la vie de l’écrivain et nous en livre un portrait saisissant. Le film est en noir et blanc avec une narration en voix off lue de façon convaincante par Jean Desailly, ainsi que des lectures de passages de ses œuvres par Gide lui-même. C’est là un bel exemple d’une synergie réussie : le film donne envie de retourner aux textes d’André Gide – en même temps qu’il donne à voir des choses que les textes ne disent pas…

La confiance que Pierre Braunberger a accordée au jeune cinéaste dès le début de sa carrière a été déterminante dans son parcours : c’est grâce à son initiative que ces deux films (et bien d’autres) signés Marc Allégret existent.

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Avec André Gide. Un film de Marc Allégret, Doriane Films, 2019. 1 DVD. Avec un livret illustré de 32 pages (textes de Marc Allégret, Garance Fromont, André Gide, Bernard J. Houssiau, Pierre Masson, Jean-Pierre Prévost).

Voyage au Congo avec André Gide. Un film de Marc Allégret, Doriane Films, 2022. 1 DVD. Avec un livret illustré de 47 pages (textes de Marc Allégret, Pierre Bergounioux, Catherine Coquery-Vidrovitch, Mauro Coceano, Hervé Pichard).