Jef Last et André Gide

Pierre Masson

Sur : Jef Last, Mon ami André Gide, trad. Basil Kingstone, Paris, Classiques Garnier, « Bibliothèque gidienne », no 16, 2021.

La rencontre de Jef Last avec André Gide se place sous le double signe de la littérature et de la politique. C’est le 23 octobre1934, au cours d’un meeting de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, qu’ils font connaissance. Gide est depuis peu l’un des plus illustres compagnons de route du communisme, Last participe depuis 1918 aux luttes de la classe ouvrière ; écrivain, il est depuis 1931 membre du parti communiste néerlandais. Marié et homosexuel, il a plus d’un point commun avec Gide.

Le lendemain de leur rencontre, ils ont un entretien de deux heures. Une amitié indéfectible est scellée. Ils voyagent ensemble, au Maroc en 1935, en 1936 en URSS où le polyglottisme de Last permet aux deux hommes de comprendre les dérives du stalinisme. Déçu par l’URSS, Last s’engage dans la guerre d’Espagne pendant que Gide écrit son Retour de l’URSS. Il participe ensuite activement à la résistance hollandaise. Après la guerre, il accompagne Gide dans une tournée de conférences en Allemagne.

Racontant ce long compagnonnage, Last se montre un ami à la fois fidèle et perspicace. Il donne par exemple un éclairage précieux sur l’antisémitisme de Gide, qu’il relativise ; sur tout le voyage de Gide en URSS, il apporte le témoignage le plus complet et le plus juste. Il donne aussi des vues générales sur la vie politique de l’époque, et sur l’homosexualité dans l’Europe des années 30. De tous les amis de Gide, Last est sans doute celui qui apporte le témoignage le plus authentique, où l’affection et la lucidité ne se contredisent jamais.

Last, vrai globe-trotter, était à Bali quand il apprit la mort de Gide : 

« C’est comme si tout mon sang fuyait de ma tête. Je ne sais plus ce que j’ai dit ou fait. Quand je suis revenu à moi, j’étais tout seul dans l’obscure rue du village » [Il est alors recueilli par un Balinais à qui il révèle que son] « meilleur ami était mort. Il commença à parler doucement. De notre karma, de la vie et de la mort, du retour de l’âme à Brahman. Personne à Bali, ni avant ni après, ne m’a parlé avec une sagesse si douce, avec un tact si délicat. […] Une grande consolation, une grande paix me venait de ses paroles. Cette nuit-là, je dormis bien et paisiblement. Ce n’est que le lendemain matin que je me rendis compte combien j’étais devenu seul. »

Robert Kopp consacre un article à l’amitié entre les deux hommes dans la Revue des Deux Mondes (19.03.2021).