“Le Paris d’André Gide”

Charlotte Butty

Sur : Franck Lestringant, Le Paris d’André Gide, Alexandrines, « Le Paris des écrivains », 2019, 137 p.

Frank Lestringant nous invite à le suivre pour un trépidant périple à la découverte du Paris d’André Gide. Nous remontons le temps et les boulevards, à la poursuite de l’homme à la cape et au chapeau. Au coin d’une rue, dans un jardin, à la terrasse d’un café, nous rencontrons des personnes qui ont marqué, de manière plus ou moins importante, la vie de l’écrivain. 

Pour commencer, Lestringant nous donne rendez-vous sur la rive gauche de la Seine, au 19, rue de Médicis (actuellement 2, place Edmond-Rostand), où le petit Paul Guillaume André Gide vient au monde, une nuit de novembre 1869. C’est dans cet appartement du 4eétage que le fils de Juliette et Paul Gide passe les premières années de sa vie, avant que la famille ne déménage en 1875, au 2, rue de Tournon, à l’angle de la rue Saint-Sulpice. L’enfance d’André est marquée par de longues promenades dans les jardins du Luxembourg en compagnie de son père— avec qui il entretient une amitié craintive—, ainsi que de Marie, la bonne de la famille. Le jeune garçon est inscrit à l’École alsacienne, une institution protestante située entre la rue Notre-Dame-des-Champs et la rue d’Assas. Là-bas, il se découvre une vocation de cancre et se fait renvoyer. Après une longue convalescence due à une rougeole, André réintègre l’École alsacienne et fréquente la pension Keller au 4, rue de Chevreuse, en dessous du boulevard Montparnasse. Cette pension lui inspirera la pension Vedel dans Les Faux-monnayeurs. À l’âge de 11 ans, il se retrouve orphelin de père et quitte la capitale, avec sa mère, pour une durée de trois ans. À son retour, il est pensionnaire chez M. Bauer à Passy et obtient son bac à l’École alsacienne. Sa mère reste fidèle à la rive gauche et s’installe au 4, rue de Commaille, dans un appartement qui sera bercé par les morceaux de piano à quatre mains, joués par André et son cousin Albert Démarest. 

 

Après ce retour sur l’enfance de Gide, nous plongeons directement dans le Paris littéraire de l’auteur. Nous sommes le 8 janvier 1890, devant l’hôpital Broussais, dans le 14earrondissement. André et son ami Pierre Louÿs rendent visite au mythique poète Paul Verlaine. Un an plus tard, nous nous retrouvons dans le salon de Mallarmé, au 89, rue de Rome, où le jeune André a l’honneur d’être invité suite à ses Cahiers d’André Walter. C’est alors qu’il commence à fréquenter les « mardis » de Mallarmé et les « samedis » de Heredia au 11bis, rue Balzac. Puis, nous effectuons un saut dans le temps et nous arrêtons en juin 1898, à la terrasse d’un café où l’écrivain rencontre par hasard Oscar Wilde, dont la réputation a été ruinée par le procès. Nous ressentons le malaise de Gide, tournant le dos aux passants, ne souhaitant pas être vu en telle compagnie. Plus de dix ans plus tard, le 31 mai 1911, nous assistons à la signature du contrat validant la création des éditions de la Nouvelle Revue française par André Gide, Gaston Gallimard et Jean Schlumberger. Le siège de la revue se situe dans un premier temps au 31, rue Jacob, puis sera déplacé dans la rue de Beaune, actuelle rue Gaston Gallimard. 

De la rive gauche, où se situe les quartiers de prédilection de notre écrivain, nous contemplons la rive droite, qui est, quant à elle, le fief de Marcel Proust. Le 24 février 1916, nous traversons la Seine en compagnie de Gide et le suivons sur le boulevard Hausmann. Nous pénétrons dans l’appartement de Proust. Nous sommes alors témoins d’une conversation houleuse autour des visions opposées que les deux écrivains ont de l’homosexualité. Gide défend une vision hédoniste de la question, alors que Proust en a une conception biblique. La Seine marque ainsi l’opposition entre ces deux écrivains majeurs de l’époque, entre qui règne un respect mutuel dénué de sentiments amicaux.

Dans notre quête du Paris littéraire de Gide, nous rencontrons également Adrienne Monnier, la fondatrice de « la Maison des amis des livres », une librairie et bibliothèque, au 7, rue de l’Odéon. Nous suivons, en 1924, la querelle qui oppose les deux amis suite à la sortie de Corydon. En effet, la libraire n’a pas apprécié le rôle que Gide, exaltant la passion masculine, y donne à la femme. Le malentendu se dissipe en octobre 1926, avec la publication de Si le grain ne meurt. Une dizaine d’années plus tard, le 16 mai 1939, nous dînons chez Adrienne et découvrons, autour d’un plat d’asperges, la froideur qui règne entre André Gide et Jean-Paul Sartre, dont elle a organisé la rencontre. 

Le Paris de Gide n’est pas uniquement littéraire. Il peut également être engagé. Cela commence pendant la Première Guerre mondiale, au moment où André s’investit dans l’aide aux réfugiés, dans le Foyer franco-belge tenu avec Maria Van Rysselberghe. Des années plus tard, nous le découvrons qui préside le premier congrès de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires, qui a lieu le 21 mars 1933, salle Cadet. Un peu plus d’un an après, Salle de la Mutualité, dans le Quartier latin, nous écoutons l’allocution d’ouverture que l’écrivain prononce à l’occasion de la présentation du premier Congrès des écrivains soviétiques, tenu à Moscou un peu plus tôt. Dans un cadre plus intime, nous constatons que son appartement 1bis, rue Vaneau, 7e arrondissement — dans lequel il emménage en août 1928 et où il poussera son dernier souffle en février 1951 — sert de point de ralliement au temps du compagnonnage avec le parti communiste. De plus, à son retour dans la capitale à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Gide découvre, sourire aux lèvres, que son ami André Malraux, gardien des lieux durant la période de crise, a utilisé ledit appartement comme atelier clandestin pour la création de faux papiers. 

Pouvant être littéraire et engagé, le Paris de Gide est avant tout celui des êtres chers. Il y a tout d’abord son épouse Madeleine, qui ne s’accommodera jamais vraiment de la vie parisienne. C’est en 1906, à la Villa Montmorency 18bis, avenue des Sycomores, à Auteuil, que nous rencontrons le couple, après que celui-ci ait déménagé de son appartement du 4, boulevard Raspail. Madeleine ne parvient pas à s’acclimater à cette nouvelle maison, jugée peu commode par plusieurs personnes l’ayant visité. Elle la déserte donc pour Cuverville, en Normandie, où elle passe la majeure partie de son temps. Elle reviendra rarement à Paris. 

Il y a également les Van Rysselberghe. Gide rencontre Théo, le célèbre peintre belge, et sa femme, Maria, dite « la Petite Dame », au moment de leur installation en Paris en 1898. C’est le début d’une grande amitié. Des années plus tard, Gide fait un enfant à la fille du couple, l’élégante Élisabeth. La petite Catherine vient au monde le 18 avril 1923, à Annecy. Lors d’une douce soirée d’août 1924, Lestringant nous propose de flâner dans la Ville lumière, en l’agréable compagnie d’André, d’Élisabeth et de Maria. Nous nous baladons sur les Champs-Élysées, déambulons sur les boulevards et dînons dans un restaurant américain, en discutant éducation des enfants, devenue un sujet de haute importance pour Gide depuis la naissance de sa fille. 

Et puis, il a Marc Allégret. Nous sommes au printemps 1917, au 74, avenue Mozart dans le quartier de la Muette. André prend alors la place de père de substitution dans la famille Allégret, Élie, le père pasteur, ayant été appelé au Cameroun. Commence alors une passion amoureuse avec Marc, un des fils Allégret, lycéen à l’époque. Huit ans plus tard, en juillet 1925, nous retrouvons les deux hommes au milieu des caisses, à la villa Montmorency. Ils préparent leur départ pour le Congo…

Malgré de nombreux voyages, André Gide a toujours vécu à Paris. Ce sont donc toutes les phases de sa vie que Frank Lestringant nous fait découvrir dans ce petit ouvrage. Le nombre de pages restreint de cette publication donne à la lecture un rythme soutenu, ne s’attardant pas sur des détails ou de longues descriptions. Ceci permet de tenir le lecteur en haleine, en découvrant, par des extraits bien choisis, la vie parisienne de ce grand personnage de la littérature française. L’approche empathique utilisée donne l’impression d’un voyage, tant spatial que temporel. Ainsi, ce livre se dévore avec beaucoup de plaisir.